B comme bière, B comme bowie par Frank Darcel

Publié le par lady stardust

J’ai croisé une première fois le thin white duke à l’inauguration du « Peppermint lounge », à New York, en décembre 1980. Nous buvions une bière au balcon, côte à côte, alors que Wilson Pickett déroulait sa soul impeccable sur la petite scène. Je tiens à dire que j’étais installé là avant lui, mais quand je le vis à coté de moi, tenant sa Heineken à ma manière, cela me parut bizarre.


David avait une chemise rouge et finalement une bonne dizaine de centimètres de moins que moi. J’étais dans une position idéale pour lui parler puisqu’il était venu s’installer à « mon » balcon. Les trois gardes du corps que je découvris par-dessus mon épaule -John Lenon vient d’être assassiné-, avaient fait le vide autour de nous. On ne pouvait se sentir plus en sécurité, mais qu’avais-je à dire à une de mes idoles ? Que mon deuxième disque acheté est Ziggy Stardust ? Cela lui aurait fait une belle jambe. A coté des gardes du corps (les oncles de Mike Tyson ?), se tenait une petite femme, jeune, brune et toute sèche. J’allais comprendre plus tard qu’elle devait plus ou moins manager l’heroe.


Cela fait maintenant près de dix minutes que David Bowie se tient près de moi. Nos bières sont finies, je n’ose pas demander aux cerbères de renouveler la commande, de mettre ça sur la note de Ziggy. Je ne suis même plus ému en fait, juste curieux de savoir si on se parlera ou non. Par moments, je me demande aussi ce que je fous là mais c’est un peu courant dans ma vie. C’est juste un peu plus prononcé en ce moment.


Un jeune imbécile (probablement plus vieux que moi à l’époque, mais d’ici je le vois très jeune) demande l’autorisation à la femme brune de parler à celui qui vient de sortir le splendide « scarry monsters ». Autorisé. Le gars vient se mettre à la droite de David et je peux entendre les conneries qu’il débite, c’est tout juste s’il ne postillonne pas en plus, tellement il est excité. Au bout du temps imparti, un des gardes du corps lui pose la main sur l’épaule. C’est fini. A dégager.


En maintenant près d’une demie heure, Bowie et moi n’avons pas échangé un seul regard et pourtant nous sommes au coude à coude. C’est une scène  de théâtre moderne. Les body guards ont resserré le cercle derrière, les bières sont toujours vides. Je commence à me dire que quelque chose cloche dans la scène. En effet, la femme sèche, petite et moche se glisse soudain entre les grands blacks, m’attrape par la manche et me tire violemment pour m’exclure du cercle. Elle m’insulte en plus !

 

Cela fait près d’une heure que tu es là à coller David Bowie ! Qu’est-ce que tu veux ?

 

Pour la première fois, Bowie me regarde, et je n’arrive pas à saisir son expression. Les gardes du corps referment le mur de chair.

Espèce de connasse, j’étais là en premier !

Voila ce que j’ai dit en gros à la manageuse ou l’agent, ou je ne sais quoi de David Bowie. Et je suis descendu au rez-de-chaussée, assez furieux. J’ai retrouvé Hubert au bar, il m’a dit :

T’as vu, y’a Jagger qui est là avec ses gardes du corps…

Sur le coup j’ai cru qu’il nous faisait une Wharolienne, mais non, Jagger est bien là aussi, au loin, avec le reste des oncles de Mike Tyson dans son sillage. Cela fait beaucoup de monde, je commence à me sentir en trop… En plus, le concert de Wilson Pickett est terminé.

On change de crèmerie ?


Mais Hubert est zen ici, il a de nouveau mis sa cravate dans sa poche et mélangé gin et bières. Il pense à Paimpol peut-être, mais il se sent royalement bien. J’embarque seul vers le « Berlin ».

 

Trois ans plus tard, alors que Marquis de Sade n’est plus qu’un souvenir, KCP propose à mon nouveau groupe, Octobre, de faire la première partie de David Bowie à l’hippodrome d’Auteuil. En fait, la première première partie, puisque Dexy’s midnight runners va ouvrir en réalité. Cette fois, ce sera peut-être l’occasion de dire deux mots au man who sold the world. Passer dans cette position ne provoque pas un véritable stress en prévision, cela veut dire jouer vers 18 heures et il n’y aura pas grand monde dans l’enceinte à ce moment. Sauf que le premier jour (Bowie joue deux jours à Auteuil pour ce serious moonlight tour), Kevin Rowland se montre irrespectueux en live envers le cheminot immaculé de Station to Station. Dexy’s est donc viré et nous apprenons que nous allons ouvrir pour de vrai le lendemain.


Je suis dans la place dès le début de l’après-midi histoire d’envahir dans la loge avec quelques bières en attendant le reste du groupe. La mousse tue le stress, tout le monde le sait. Il y a juste un truc qui m’embête : ma guitare fétiche vient de passer quelques temps chez un luthier que je ne connais pas et elle ne sera livrée que dans le milieu de l’après-midi. L’ambiance se tend un peu plus lorsque mon manager (le sémillant Michel Esteban) m’apprend que l’alcool est interdit backstage. Je découvre à l’occasion la bière sans alcool, remarque avec plaisir qu’il est fait mention d’un degré salvateur. Je me fais livrer dans la loge deux plateaux de cette boisson qu’on n’a encore jamais vue en Bretagne.

Je passe ensuite une bonne partie de l’après-midi aux pissotières, puis ma guitare et le reste du groupe arrivent enfin. Il est h-2. Je n’ai pas très envie de jouer et laisse quelqu’un accorder la Les Paul.


A 19 h 30, j’entre sur scène, c’est un set que je démarre en solitaire. J’entre donc seul et à peu près 50 000 sur les 70 000 spectateurs sont déjà là. J’ai la vessie pleine mais je suis aussi clean qu’un parquet anglais. En passant devant l’ampli d’Earl Slick, je vois la petite fiche collée avec la liste des titres. Pas les titres que je vais jouer. Les titres que lui va jouer en ce 9 juin. Je lis Red sails et Rock’n roll suicide. Je me dis : c’est le vrai Rock’n roll suicide, celui de ton adolescence, celui de ton deuxième disque acheté. Cela me fait un drôle de truc et je ne sais plus trop où je suis quand je branche la guitare. 50 000  personnes, pas mal, et ce soleil de printemps, trop nice. Il y a même quelques applaudissements. C’est super doux comme sensation jusque là, un peu ouaté. Le résultat d’une cuite à 1 degré. Je fais le premier accord, la guitare sonne archi faux.

J’ai joué biscornu pendant une minute jusqu’à ce que le reste du groupe n’arrive et que notre petite machine ne s’élance. Ensuite je ne me souviens plus de rien, je me suis sûrement réaccordé…


En sortant de scène nous étions heureux de ne pas avoir été jetés, certains croyaient avoir entendu une demande de rappel, au loin. Je soulevai l’idée que j’avais pu jouer assez faux. Mais on me dit que non, pas trop en tous cas. Installé au bout de la passerelle qui nous ramenait vers les loges, Tony Thompson, le batteur de Chic, décédé depuis, tint à féliciter chacun d’entre nous. Quelle gentillesse, quelle élégance !


 

Dans la loge j’ai voulu expliquer que je ne me souvenais pas du concert, que le moment m’avait été volé par un dieu vicieux. Tout le monde s’en foutait.

Certains voulaient voir le show du thin white duke depuis l’arrière. Moi j’avais désespérément besoin d’une vraie bière, et peut-être pas envie de retrouver cette harpie croisée dans les parages du beau blond à New York. J’ai quitté les backstages et me suis rendu en face, dans la tribune la plus haute, là où l’alcool coulait à flot. J’ai à peine vu le concert de Bowie. Je me suis souvenu que mon premier disque acheté était un album de Slade.


Le souvenir de « la première partie de Bowie » n’est jamais revenu, il reste juste la vision de la feuille collée au Marshall d’Earl Slick. Je crois en fait que ma guitare était trop fausse et que cela a enrayé le processus de mémorisation, quelque chose comme ça, un truc à la Dead zone.


Un mois après, dans une boite de nuit à Rennes, un gars est venu me féliciter pour le concert disparu. Il avait même pris une photo et m’en a fait parvenir un tirage par la suite. C’est bien moi dessus, le plus drôle c’est que j’ai l’air concerné. Pourtant je n’étais pas là. J’en suis presque sûr.

 

 

http://www.frankdarcel.com/au-fil-du-temps/b-comme-biere-b-comme-bowie.html

Publié dans Ils ont dit de lui...

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